Pas d’Internet “civilisé” pour les Barbares de l’Info!
Le lancement de la nouvelle revue suisse Ithaque en juin est l'occasion pour notre ami JC Féraud de concocter un manifeste un peu barge du gonzo journalisme du web.
J’ai écrit ce texte un peu barge, ce pronunciamiento gonzo, à la demande de mon camarade blogueur Chacaille. Ce cher Frater Guillaume d’outre-Léman, qui défend la figure du “Moine reporter bénévole”, lance avec ses amis suisses une fière Trirème baptisée “Ithaque”. Un journal au long cours, non-profit et citoyen, qui entend aller “moins vite plus loin”. Avec de la chair et de l’humanité dedans, du récit, du reportage, des idées et de la BD… Le premier numéro de cet ovni journalistique et littéraire sort des presses. Vous pouvez vous y abonner ici sans peur d’être déçus. C’est beau, c’est gonzo. Je suis fier d’être de l’aventure ! Voici donc en guise de Teaser ce “Manifeste des Barbares de l’Info” qui sera en der du numéro 1 et que je brûlais de publier envers et contre l’Internet “civilisé” (et le journalisme qui va avec). Surtout après la farce grotesque de l’eG8 organisée à Paris par l’Histrion à talonnettes de l’Elysée…
Nous sommes les barbares de l’info
Nous sommes les nouveaux Barbares de l’Info.
Journalistes renégats et mercenaires du clavier, jeunes forçats du Web et vieux déserteurs du papier, blogueurs sans entraves et citoyens libre-penseurs. Jeunes précaires courant de stages en CDD renouvelables, rédacteurs trentenaires prêts à tout donner mais privés de la carrière qui portait leurs aînés, quadra et quinqua déclassés, trop vieux, trop exigeants, pas assez petits chefs pour trouver notre place dans les usines à produire de l’information low-cost que tendent à devenir les journaux.
Nous avons pris le maquis du web et ne croyons plus à la presse telle qu’elle était. C’est décidé: nous ne suivrons plus les règles du jeu des professionnels de la profession…enfin juste ce qu’il faut pour vivre ou survivre de notre métier et fomenter la révolution de l’info ici et maintenant. Sans trop se prendre trop au sérieux évidemment ;). Ceci est un manifeste gonzo-journalistique inutile mais irrépressible, qui n’engage que ceux qui le suivront à leur manière. Quand ils le pourront où ils le pourront. Mais avec la foi communicative des conquérants d’une nouvelle ère informationnelle.
Pour commencer, nous croyons aux Dieux de l’Information et de la technologie au nom du Libre Partage du savoir. Nous pensons toujours que la compréhension de l’actualité et de l’histoire en train de se faire est un facteur indispensable d’éducation, d’élévation et de progrès. Et que la liberté indéfectible de la presse est l’un des premiers fondements de la démocratie.
Nous plaçons la mission d’informer, bien avant le commerce du papier et de la réclame qui dévoient de plus en plus le métier au nom de sa seule survie. Et qu’à ce titre les médias ne sont pas des entreprises comme les autres mais un bien public, qui devrait et pourrait être “non profit” et financé comme tel par l’impôt, le biais de fondations ou la trop vite enterrée “licence globale” (consistant à taxer les opérateurs télécoms faisant juteux commerce des contenus que nous, journalistes et citoyens, produisons).
L’Internet et le journalisme n’ont pas à être “civilisés”
Nous sommes convaincus que la révolution numérique n’est pas une menace pour la presse, mais une chance historique pour elle de renaître en offrant à tous la possibilité de participer au média, en interaction avec des journalistes professionnels.
Nous croyons aussi que l’Internet n’a pas à être “civilisé” comme l’a souhaité un président de la République (qui lui ne l’est pas, civilisé), en ce sens que ceux qui y produisent ou y échangent du savoir n’ont pas la même conception du droit et de la liberté d’informer.
Alors, aujourd’hui, à ce moment clé de l’histoire des technologies et de l’information, nous sortons de l’ombre de l’Undernet. Dans les “grands” journaux qui coulent au son de l’orchestre comme autant de Titanic, chez les “pure player” qui se lancent comme autant de radeaux de l’info, sur les blogs et Twitter, ici et ailleurs…nous occupons le terrain de l’internet laissé vacant par la fin de l’ère Gutenberg.
Spartacus venus des contrées numériques, nous déferlons, toujours plus nombreux et dans une joyeuse anarchie, sur les limes de la vieille Rome médiatique. Entendez-vous cette clameur libre et sauvage ? Nous voulons informer ici et maintenant, partout et nulle part, sans entraves, envers et contre tous les pouvoirs, politiques et économiques, pour le bien commun et la morale publique. L’information est un droit et un devoir essentiel à la démocratie, on l’a dit, et à ce titre nous la considérons comme un service public qui ne doit pas être dévoyé par la logique des “story teller” et des mercanti. Et oui, fous que nous sommes, nous croyons encore en ces notions antiques aujourd’hui oubliées ou dévoyées ! Ici là même, sur ce blog en forme de radeau numérique. Mais, aussi sur le pont de cette Trirème joliment baptisée “Ithaque”. Et bien d’autres esquifs nommés Mediapart ou OWNI… nous souquons ferme, mais à notre rythme, moins vite, pour porter plus loin l’estoc au cÅ“ur de l’Empire. Nous sommes journalistes de métier ou non, bretteurs et rhéteurs des mots, amoureux de l’écrit c’est sûr. Nous entendons pratiquer l’”Informatio” au sens où l’entendait les anciens. En vénérant l’héritage narratif de Joseph Kessel et les enquêtes au long cours d’Albert Londres. En faisant nôtres le “nouveau journalisme” littéraire de Tom Wolfe, le gonzo-journalisme foutraque et brillant de Hunter S.Thompson et le journalisme Underworld USA de Bob Woodward qui se rappelle à notre souvenir ces temps-ci. Un journalisme dont on ne trouve plus vraiment trace dans la vieille presse.
Face aux tristes clercs de la pseudo-objectivité journalistique à l’anglo-saxonne, nous brandissons l’étendard de l’honnêteté subjective. Nous aimons décrire le réel par hyperbole, avec mauvais esprit et poésie, sans aller contre la vérité des faits. En allant moins vite plus loin contre l’accélération du monde turbo-numérique, nous voulons ralentir pour vous raconter des histoires hunniques “dont les mots, comme les poings, fracasseraient les mâchoires” comme disait Cioran. En expérimentant tous les styles et en nous servant de toutes les nouvelles technologies.
Nous sommes légions, nous sommes de toutes les générations. Mais nous avons dix ans ou quinze ans à peine. L’âge de la nouvelle Utopie informationnelle de l’Internet qui a mis à bas Gutenberg et Mac Luhan, les Dieux anciens de l’imprimé et de la lucarne hypnotique.
Les graines du chaos re-créatif
Haw Haw ! Une décennie déjà que la nouvelle trinité des trois W a semé les graines du chaos destructeur et ré-créatif au cÅ“ur d’un quatrième pouvoir que l’on pensait imprenable.
Emportés par ce nouvel élan digital qui offre à tout à chacun les outils et la parole, ici et maintenant, nous mettons en application ce programme: “Don’t hate the media, become the media” en réponse au “Journalistes partout, Info nulle part”.
Hey Ya Hey nous entarterons les encartés, professionnels de la profession trustant colonnes et micros, projecteurs et caméras ! Tribuns autosatisfaits et éditocrates autoproclamés, vous monopolisiez depuis des générations la parole et l’écrit ? Vous régniez sans partage sur la pseudo-République de l’actualité ? C’est terminé. Il faut maintenant compter avec ce nouveau journalisme bravache et sauvage, littéraire et non standardisé, romantique et nullement pragmatique venu de l’avenir et du passé. Sur le Réseau, nous sommes comme des poissons dans l’eau. Face au bombardement cathodique dominant, nous sommes comme une embuscade dans la jungle médiatique, nous créerons “un, deux, trois Vietnam de l’Info”, comme l’annonçait le programme fondateur de “Libé” en 1973. Vous dictiez au bon peuple ce qu’il fallait penser de l’actualité depuis le confort de vos salons parisiens ? Mécréants que nous sommes, nous raillerons votre évangile en pratiquant le journalisme des faits, par-delà les écrans de nos ordinateurs. Mais en diffusant ce que nous avons appris des événements sur tous les écrans numériques. Et du bon vieux papier aussi. Car nous aimons encore le parfum de l’encre fraichement imprimée. Vous aviez banni de vos rangs les déviants et les affranchis qui prétendaient pratiquer un journalisme du réel…ou de l’irréel ? Ils sont de retour par la magie du Web et ils ont faim de raconter la vie: celle des vrais gens, avec des morceaux d’humain dedans. De plonger au cÅ“ur de l’histoire immédiate en train de se faire, au plus près des événements.
Nous mordons avec des mots
Journalistes civilisés, votre idéal patricien c’était foin de panache et d’engagement, point de sens critique ni d’investigation, de la tiédeur et de la crypto-objectivité s’il vous plait ! Surtout ne soulevez pas le tapis de l’actualité, ne cherchez pas à déterrer de vieilles affaires. Rendormez vous, les entreprises sont gentilles, le financement des partis politiques est légal, la guerre est chirurgicale, le business est le business, les saletés doivent rester cachées. Positivez l’info: please du people, des paillettes et du story-telling. N’allez pas voir derrière le miroir, Dieu sait ce qu’un maudit fouineur y aurait trouvé ! Prétoriens de l’ordre informationnel établi vous êtes toujours, comme il se doit, forts avec les faibles et faibles avec les puissants. Bons chiens de garde et gentils toutous courtisans, assurés de ripailler au banquet du pouvoir…Mais nous ne voulons plus de votre “Pax Mediatica”. Maintenant nous mordons avec des mots. Nous ne sommes pas nés pour être domptés. Nous sommes des journalistes sauvages et plébéiens, pas des petits soldats de l’info bêtes et disciplinés.
La voie du Gonzo
Nous voulons suivre la voie de notre bon maître Gonzo, le Doc Thompson, pour qui un bon petit reporter se devait d’avoir “le talent du maître journaliste, l’œil du photographe artiste et les couilles en bronze d’un acteur d’Hollywood”. Nous pensons avec ce cher Hunter citant Faulkner qu’il arrive que “la meilleure fiction soit bien plus vraie que n’importe quel type de journalisme”. Que de plus en plus souvent “les faits sont des mensonges” serinés par des story tellers pour être copiés-collés à l’infini par des scribes robotisés. Et que pour atteindre la vérité, il faut se fier à son instinct sauvage et se laisser porter par la danse chamanique des mots “comme une balle de golf d’un blanc étincelant sur un fairway où le vent ébouriffe les paquerettes”1 .
Entendez-vous cette rumeur venue des tréfonds de l’internet ? Les temps changent. La roue de l’Histoire informationnelle a tourné. En 2007, lorsqu’une poignée de vétérans du métier a déserté les rangs de la vieille presse sclérosée pour lancer les premiers sites d’info en ligne hors système avec de jeunes recrues venues de barbarie numérique, on se gaussait de ces blogs à peine améliorés rédigés par des gueux et des proscrits qui prétendaient rivaliser avec la grande presse : “Jamais ces Rue89 et autres Mediapart ne tiendront plus d’un an”, entendait-on à Paris dans les allées du pouvoir journalistique. Bien sûr il y eut des morts. Bakchich, le vilain petit Canard numérique. Mais aussi des naissances. Owni et son info digitale venue d’ailleurs… Mais pendant ce temps là , les “grands” journaux, ces Tigres de papier, ont vu leur royaume imprimé s’effriter année après année. Ils ont vu leurs ventes et publicité pourrir et s’effondrer sur pied. A force de sacrifier aux dieux médiocres du marketing éditorial. A force de proposer toujours la même soupe standardisée, de coller au “temps de cerveau disponible”, d’oublier que notre métier est d’abord celui de l’offre. A force aussi d’avoir peur de l’Internet, cette nouvelle démocratie de l’info participative, sociale et citoyenne. A force de mépriser ces OS du Web qui étaient seuls à maîtriser les arcanes de la technologie, la vieille aristocratie décadente du papier est totalement passée à côté de la révolution numérique. Elle est aujourd’hui au bord du précipice et sur le point de tomber dans les poubelles de l’histoire. C’est ainsi.
La fin des anciens
Voilà donc qu’un vent de panique s’est mis à souffler sur la belle ordonnance des phalanges de l’Empire. Ce n’est pas encore la débandade généralisée. Mais les signes de la fin des temps anciens sont là . L’ordre médiatique établi vient de connaître son désastre de Teutoburg: pour la première fois, un messager venu des forêts sombres de l’Undernet, j’ai nommé WikiLeaks, a dicté son agenda aux plus grands journaux de la Planète. On a vu le New York Times, le Guardian, le Spiegel et Le Monde se rendre docilement à l’oracle barbare des 250.000 câbles diplomatiques américaines rendus publics par Assange. Plus rien ne sera comme avant. D’autres “Zones Autonomes d’Information” vont naître ici et là , frapper de leur clavier et disparaître avant d’être écrasées pour renaître ailleurs dans les failles de l’Empire, suivant les préceptes “TAZ” du cyber-prophète libertaire Hakim Bey.
Bientôt d’autres “journalistes et hors la loi”se lèveront et rivaliseront de diatribes magiques et hallucinées dans la lignée du grand Chaman des mots, ce cher Hunter. Et les jeunes forçats du Web briseront leurs chaînes sur l’air du “qu’est ce qu’on attend pour mettre le feu à l’Info !”. Les lecteurs suivront ou non. Qui nous aime nous suive ! Ils suivront. Ils ont déjà déserté en masse le papier et la télé pour le Web, l’info-burger pour la bio-diversité des sites indé, des réseaux sociaux et des blogs. Bientôt l’on entendra ce qu’il restera des Césars médiatiques d’autrefois, lancer le cri d’Auguste: “Varus qu’as tu fais de mes légions ?”. Rome ne brûlera pas mais l’Empire s’effondrera de lui-même face à la nouvelle République des médias par tous et pour tous. C’est écrit.
Maître Gonzo ;)
Article initialement publié sur le blog Sur mon Écran Radar, sous le titre “Pas d’Internet “civilisé” pour les Barbares de l’Info !”
Illustrations CC FlickR: par Dunechaser, par Abode of Chaos
- Citations extraites de “Gonzo Highway”, le formidable recueil des 50 ans de correspondance d’Hunter S. Thompson (chez 10/18 domaine étranger [↩]
Laisser un commentaire